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Par franck
#240464
Bonsoir,

Aujourd'hui, mes yeux me faisant défaut depuis quelques temps, j'avais rendez-vous dans le grand Hôpital lyonnais E... H... au Pavillon C pour quelques examens ophtalmologiques.
Cela faisait longtemps, à y réfléchir, que je n'avais plus franchi l'entrée de cet hôpital vétuste mais, à l'image de D..., ancien hôpital des enfants lyonnais surplombant majestueusement la grande ville, incontestablement pourvu d'une âme, d'une histoire que l'on ressent dès qu'on le pénètre avec son allure baroque si unique. Ses pavillons carrelés aux couleurs défraîchies rappellent qu'il est là depuis longtemps. Il fait inexorablement partie de la vie des lyonnais. Mes parents y sont passé à leur tour lorsque leur santé les abandonnait et une multitude de lyonnais a un bout d'histoire ici, sans doute. Loin des grands ensembles modernes dont se dotent petit à petit les grandes villes en regroupant les médecines, les soins. Alignant presque les malades dans de longs couloirs ternes à l'esprit artificiel. Sûrement bien plus fonctionnels que ce vieil hôpital mais parfois si "impersonnels" pour les patients et leur famille. Ainsi va la vie...

Il n'a pas changé, il faut toujours autant de temps pour se garer. Que ce soit à l'intérieur ou les véhicules sont stationnés de partout, presque anarchiquement au milieu de ce grand dédale de bâtiments ou au dehors, trouver une place est un vrai parcours du combattant. Au bout de quelques longues minutes, mon tour est enfin venu et j'ai réussi à trouver une place non loin de l'entrée latérale du bâtiment.

Je suis descendu de ma voiture et, en franchissant la petite porte métallique, presque dérobée, tout m'est revenu. Je n'avais pas oublié, en fait. Ma mémoire avait gardé la vie, le parfum des lieux, les images de chaque instant. Il a suffit de passer la porte pour tout reprendre en pleine figure, comme un courant d'air rouvrirait une fenêtre mal fermée. Je me suis souvenu, comment ne pas oublier, de ce premier bâtiment des Urgences Pédiatriques, témoin de tant d'angoisses de parents, de pleurs et de doutes. A peine le seuil franchi, on se retrouve nez à nez, coeur à coeur, avec lui. Il suffit de le contourner, presque les yeux fermés tellement nous l'avons fait de fois, pour se retrouver face au Pavillon ou se rendait Justine à ses débuts pour ses hospitalisations de jour, il y a mille ans... Je me souviens sans défauts des couloirs, des pièces et des docteurs. Des infirmières au grand coeur, des parents compagnons d'infortune avec lesquels on partage ses doutes, parfois ses larmes de dépit... Je me souviens de cette impression de retrouver un peu "une famille" par le biais des mômes que l'on retrouvait tous les six mois ou toutes les années. Et si par malheur, il arrivait d'en manquer un, chacun serrait ses poings au fond de sa poche et sa peine au fond de son coeur. En regardant les autres, mal à l'aise...

Une fois le bâtiment contourné, on tombe sur le grand Pavillon de la Chirurgie Orthopédique. Le territoire du professeur G..., semblait-il à Thomas du haut de ses 7 ans. Terrorisé à son premier rendez-vous en culotte devant ce grand Monsieur et ses assistants qui l'auscultaient sous toutes les coutures. Avec ses pauvres parents qui croyaient, en arrivant, s'être trompé de bâtiment parce que l'on y parlait de Chirurgie sur le panneau. Tout est encore là, oppressant. Étouffant. Effrayant. La vilaine nouvelle de l'arrivée du corset dans notre vie, la première rencontre avec le Milwaukee qu'allait devoir accepter Thomas. Que nous allions devoir nous aussi accueillir dans notre vie. Cette impression de n'avoir jamais été aussi malheureux également, en repartant de cette maudite consultation dans ce maudit bâtiment horrible.

Aujourd'hui, il n'y a plus rien. Les bâtiments sont désaffectés. Une rapide traînée de peinture blanche sur les vitres, comme on le ferait en s'enfuyant, barre la vision de l'intérieur aux "novices". Mais les yeux de ceux qui ont vécu un jour, un instant, une partie de leur vie dans les lieux arrivent à voir au-delà. Les enfants sont partis ailleurs et tout semble abandonné. Même le regard des piétons ne se tourne plus vers les bâtiments fatigués dont quelques abrutis ont quand même réussi à casser ça ou là un carreau ou laissé un graffiti inesthétique et inutile. Comme on marquerait au fer rouge une bête de peur qu'elle ne s'échappe.
Il y a sûrement un millier de mégots de cigarettes que j'ai fumé à l'époque qui doivent traîner dans le caniveau ou sur le pavé lézardé aux alentours. Et probablement autant de larmes de grand aussi, celles que l'on essuie à la va-vite pour ne pas que les petits le voient.

Je me suis assis en face de lui, à le regarder pour essayer de le voir bouger ou respirer encore mais rien n'est venu. Et puis, à tendre l'oreille en fermant un peu les yeux, j'ai pu finalement entendre à nouveau les rires et les jeux des enfants souffrants que rien, pas même la maladie, n'empêche de rire ou de chanter. J'ai retrouvé ces parfums qui seront à jamais un morceau de ma vie, ces drôles d'instants difficiles aujourd'hui si "essentiels" à ce que nous sommes devenus. Ces espoirs, ces doutes, ces craintes à jamais gravés dans mon coeur de Papa.
En relevant les yeux, j'ai vu passer malgré la pénombre intérieure une ribambelle de gosses souriants accompagnés d'infirmières au grand coeur, fières de leur métier, de leur mission, à défaut d'avoir les plus belles installations possibles pour travailler. Puissent-ils être aujourd'hui tous rentrés chez eux, ces enfants. Avec les leurs qui les ont tellement attendu parfois. Avec l'aide du corps médical, de leurs parents et aussi, un peu, de Dieu quelquefois...

Franck
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Par chris
#240815
Merci Franck de nous rappeler la tristesse de ces lieux désertés, avec toujours autant d'émotions dans tes paroles.

:bisous1
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Par Nath72
#240822
Dans ton beau récit, les fantômes rient et pleurent à la fois, comme dans la vie..

:Merci1

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